Espagne : Entre hauts plateaux et cheminées de Fée
- Le 08/06/2025
- Dans RoadTrip
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Avant la route, il y a le rêve
Il y a des voyages qui s’écrivent longtemps avant de commencer.
Dans les silences des soirées d’été, autour d’un verre, entre amis.
Dans les cartes froissées qu’on garde « au cas où », les itinéraires griffonnés, les envies mises en veille.
Puis un jour, l’aube vous appelle.
Et ce n’est plus un projet, mais un frisson.
La route devient un fil qu’on suit sans trop savoir jusqu’où il mène.
On ne part pas pour fuir, ni vraiment pour chercher.
On part pour ressentir. Pour respirer la vie.
Pour écouter le bruit du vent entre deux crêtes et voir les ombres s’étirer sur la terre nue.
Ce récit est celui de quatre jours.
Quatre fragments de liberté, entre montagnes, plaines, boue et amitié.
Quatre battements de cœur où chaque détour a laissé une trace.
Cap au Sud : Quelques jours entre silence, hauts plateaux et cheminées de Fée
Jeudi – Premier jour : Le départ et premières pistes
4h10 : Le réveil sonne. Il est l'heure de se lever. Je n'ai qu'une petite demi-heure pour me préparer avant de prendre la route. Le rendez-vous est donné à 5h00 avec des amis dans un relais routier à quelques kilomètres de là pour entamer ensemble la route vers l'Espagne. Cela fait des mois maintenant que je prépare et attends ce long week-end avec impatience. En fait, depuis que l'on a commencé à en parler l'été dernier.
J'ai chargé mes affaires la veille, mais il me reste encore à prendre la nourriture restée au frais. Je transfère les derniers effets discretement, sans faire de bruit. Cette fois-ci, je pars sans ma copilote et vais donc lui dire au revoir en essayant de ne pas la réveiller. C'est peine perdue. Même si elle est encore ensommeillée, elle sait que je vais m'absenter quelques jours et ne veut pas manquer mon départ.
Il fait encore nuit lorsque je mets le contact et démarre le moteur. La jauge de carburant est à la moitié, j'en aurai à peine assez pour effectuer les quelques 400km à venir. Qu'à cela ne tienne, je mettrai un peu de diesel au point de rendez-vous. Pas le plein, mais suffisamment pour atteindre les stations espagnoles !
Une fois sur place, je me gare et ne tarde pas à être rejoint par le Discovery de Franck et Valérie. Après quelques retrouvailles, il est temps d'avaler les kilomètres qui nous séparent encore de Saint-Jean-Pied-de-Port, notre première étape, puis des pistes de Navarre.
CB allumée, nous discutons au fil des petites départementales qui nous mènent à destination. Je me rends alors compte au détour d'un panneau, que nous allons passer tout près d’un lieu important pour moi. Nous effectuons ainsi un petit crochet, l’occasion parfaite pour aller rendre visite à mon père, que je n’ai pas vu depuis les fêtes de fin d’année !
Malheureusement, nous ne pouvons pas nous attarder non plus. Les heures défilent, et nous devons continuer si nous voulons rejoindre le début de notre trace.
Midi sonne lorsque nous atteignons le petit village basque. Le bourg fait partie des "Plus Beaux Villages de France", ce qui nous incite à effectuer une petite visite du centre historique ainsi qu'un passage sur l'ancien chemin de ronde. Le lieu est également un important passage de pèlerins qui se rendent à St-Jacques-de-Compostelle, où la plupart des gîtes affichent sur leurs portes qu'ils sont complets pour la nuit.
Traverser les Pyrénées se fera principalement sur des portions goudronnées côté français mais cela ne nous prive pas d'apprécier les paysages vertigineux et de croiser quelques Pottoks, cette race de poneys vivant en liberté une partie de l'année. L'occasion de prendre quelques photos, puis de nous arrêter manger au milieu d'un petit cirque rocheux avec une vue imprenable sur la vallée.
Nous croisons peu de monde – un ou deux bergers, quelques vaches, mais c’est à peu près tout. On se sent déjà loin de la civilisation au moment de passer la frontière dont le seul signe est une ligne sur la carte du GPS. Mais cela annonce également pour nous le début des pistes même si ce début d'aventure est marqué par quelques déconvenues avec des passages infranchissables nous obligeant à adapter l'itinéraire. Les chemins deviennent plus caillouteux à mesure que nous approchons du sommet de la Sierra de Gongolaz, à l'Est de Pampelune. Nous posons le camp en fin de journée dans une petite clairière. Le montage de la tente de toit est toujours aussi rapide, on déplie la table, on sort le réchaud, et on se prépare un repas simple, mais bien mérité. La nuit s’annonce calme, sans vent ni pluie. Après ces longues heures de route, nous rejoignons nos couchettes aux couleurs du crépuscule, enveloppé par l’air frais de la montagne et impatients de ce que nous réserve la suite.

Vendredi – Deuxième jour : Immersion totale et premiers imprévus
Le réveil se fait au lever du soleil, dans le silence le plus total. C’est un bonheur rare. Je sors le petit-déjeuner dans la fraîcheur du matin, en observant les nuages qui commencent à accrocher les sommets alors que nous somme à un peu plus de 800m d'altitude. Mon regard se perd sur les nombreuses éoliennes qui fendent l'air avec un mouvement métronomique pendant que j'avale un verre de jus de fruit. On replie le camp et nous reprenons les pistes mais le premier objectif sera de rejoindre une station-service. Le voyant de la réserve est allumé depuis hier soir et il serait malvenu de tomber en panne.
Nous nous dirigeons donc vers le petit village le plus proche, celui de Lumbier, et ne tardons pas à trouver l'objet de nos recherches : une station qui affiche le diesel à 1,25 €/L ! Cela fait des années que je n'ai pas vu un tel tarif affiché chez nous, et remplir le réservoir de 95L me remplirait presque d'allégresse.
Nous en profitons également pour faire un stop dans une petite épicerie. Pour payer, pas de caisse enregistreuse, et encore moins de TPE : la tenancière note tout sur un petit calepin en guise de facture. On se croirait hors du temps. Direction ensuite la boulangerie pour prendre un peu de pain et boire un café.
Nous discutons et décidons de ne pas reprendre la trace tout de suite, mais plutôt de faire un peu de tourisme en nous dirigeant vers la "Foz de Lumbier", a priori célèbre pour ses gorges. Accessible uniquement à pied, il faudra se garer sur un parking gardé en échange de quelques euros. Une promenade aménagée et parfaitement plate, qui emprunte un ancien tracé d'une ligne de chemin de fer — celui du premier train électrique d'Espagne — et qui nous mènera au fond de ce canyon. Là, nous pouvons y admirer un paysage exceptionnel ainsi que les nombreux rapaces qui y nichent. À côté du parking, la zone est équipée de tables et de barbecues, l’idée de rester pour déjeuner s’impose naturellement.

Les pistes deviennent plus longues, plus roulantes alors que nous approchons du désert des Bardenas. La météo change peu à peu. Les nuages s’épaississent et n'augurent rien de bon. Quelques gouttes commencent à tomber en milieu d'après-midi, les prémices d'un orage qui ne durera finalement pas longtemps. Il aura toutefois permis de donner une autre dimension aux paysages désertiques avant que le soleil ne reparaisse.
Si les panoramas sont magnifiques, on sent que l'endroit est très — trop — touristique. Les pistes, si on peut encore les appeler ainsi, sont suffisamment larges pour que les floppées de camping-cars puissent rouler et même se croiser sans encombre. Le lieu mérite sans conteste le détour, au moins une fois, pour ses décors rappelant les vieux westerns américains.
La fin de journée approche, si nous voulons trouver un endroit pour la nuit, nous avons tout intérêt à nous éloigner car ici le bivouac est totalement prohibé. Les Espagnols ne plaisantent à priori pas là-dessus, ni sur le montant des amendes.
Nous n'aurons malheureusement pas autant de chance que la veille, et finirons sur un parking aménagé pour les camping-cars en périphérie d'une petite ville.
Samedi, troisième jour : De pistes en pistes
Le réveil fut plus difficile ce matin. Si la nuit précédente avait été calme, celle-ci fut nettement plus agitée. La faute à la proximité immédiate de la route, au bruit ambiant et au manque de confort comparé à notre bivouac isolé de l’avant-veille. J'aurai aimé comater plus longtemps mais je me décide à sortir en entendant le grondement du tonnerre et plie rapidement le campement.
Nous reprenons la route sous un ciel menaçant. C’est notre dernière journée avant d’entamer le chemin du retour, prévu pour demain. L’itinéraire que nous avons choisi s’étend sur près de 400 km, et je sais déjà que nous n’irons pas jusqu’au bout. J’en étais conscient avant le départ, mais autant en profiter pleinement tant que c’est possible !
Nous faisons une halte à 'El Campo' — le nom local donné à Auchan — pour nous ravitailler, puis reprenons la route en alternant routes asphaltées et sentiers, sous un léger crachin qui nous accompagne toute la matinée.
Cette journée marque une immersion encore plus profonde dans la nature sauvage espagnole. Le sol argileux devient gras, collant, et parfois piégeur. À un moment, l’arrière du Discovery décroche légèrement, et mes roues glissent jusqu’à se planter dans le bas-côté. Après plusieurs essais infructueux qui me ramènent inexorablement à mon point de départ, j'arrive finalement à me sortir de ce bourbier à l'aide des précieux conseils de Franck. Rien de grave, mais ça me rappelle que la vigilance est de mise. Un peu plus loin, nous faisons face à un passage à gué. Rapidement, on comprend qu’un simple faux pas pourrait nous immobiliser un long moment. Après une courte réflexion, demi-tour prudent. Inutile de tenter le diable.
Nous continuerons ensuite sans encombre, enchaînant les kilomètres sur une belle piste, sinueuse, par endroits pierreuse, et surtout très peu fréquentée. Elle traverse de grandes zones de culture. Les vallons et les collines s’enchaînent dans des décors toujours plus impressionnants me laissant régulièrement stupéfait. Nous roulons tranquillement, sans croiser âme qui vive pendant des heures.
La CB crachote quelques échanges de temps en temps. Parfois pour parler d’un point d’intérêt, parfois pour se donner des infos de navigation. L’ambiance est bonne.
Le soleil refait son apparition en début d’après-midi, alors que nous approchons du désert des Monegros. Moins spectaculaire que les Bardenas, il nous offre pourtant une incroyable sensation de liberté dès que nous quittons les derniers villages. Ici, seuls les véhicules tout-terrain peuvent espérer avancer sans encombre. Certaines portions de piste, notamment sur les crêtes, sont désormais impraticables à cause des récentes intempéries. Il faut, une fois encore, revoir notre itinéraire. Rien ne se passe jamais comme prévu, et c’est ce qui rend chaque jour unique. Nous suivrons donc un autre passage, légèrement en contrebas, qui nous conduis jusqu'au village de Monegrillo.
Avec le recul, ce détour s’avérera presque providentiel. C’est précisément là, en traversant cette petite bourgade, que le ciel décide de se déchaîner. La grêle et la pluie s’abattent sans prévenir, violentes, brutales. En quelques minutes, nous voilà pris dans une tempête impressionnante, les ruelles du village se transformant en torrents. Plusieurs centimètres d’eau ruissellent à toute allure le long des trottoirs. Le déluge a des allures d’apocalypse, mais s’estompe presque aussi vite qu’il est arrivé.
Quand le calme revient, une question s’impose : les pistes sont-elles encore praticables ? Il nous faut pourtant avancer, et surtout, trouver un coin pour passer la nuit.
On tente notre chance sur une portion déjà empruntée plus tôt dans la journée. Après quelques hésitations, nous tombons sur un endroit qui fera l’affaire : à la lisière d’un bois et d’un champ, légèrement en retrait. L’emplacement est plutôt agréable, mais des déchets abandonnés trahissent la présence d’anciens campeurs. Comme d'accoutumée on installe le campement rapidement, on déplie le tarp pour pouvoir dîner à l’abri. Le vent souffle, les nuages restent menaçants, et tout laisse penser qu’une nouvelle ondée pourrait nous tomber dessus. Le repas est rapide, l’ambiance plus rustique, mais ça fait partie du charme. On rigole malgré les gouttes, on partage les impressions de la journée puis les affaires sont rangées sans attendre. L’objectif : rester prêts à décamper si les bourrasques deviennent trop violentes ou qu'une nouvelle tourmente venait à s'abattre au milieu de la nuit.
Le vent forcit un moment, faisant tanguer le Discovery, me laissant inquiet un temps. Puis il finit par tomber, comme apaisé, et me laisse m'assoupir à mon tour.

Dimanche, quatrième jour : Et puis le silence, de nouveau
Dernier jour, celui du retour. Beaucoup d’heures de route nous attendent, mais cette fois on opte pour la simplicité en empruntant l’autoroute. Après un petit déjeuner tranquille, nous laissons l’endroit plus propre qu’à notre arrivée, puis reprenons la route vers la civilisation.
Un arrêt à midi pour profiter une dernière fois des stations-service espagnoles, avant de franchir la frontière dans l'autre sens. Nous arrivons en fin d’après-midi, le cœur chargé de souvenirs… et les passages de roues bien couverts de boue.
Les pneus ont quitté la piste, les sacs sont rangés, la boue séchée.
Mais le voyage, lui, n’est pas terminé.
Il continue dans les silences entre deux phrases, dans les regards lancés au loin, dans l’envie irrésistible de repartir.
L’Espagne ne m’a pas tout dit, et je ne lui ai pas tout pris.
Elle m’a offert des horizons, des imprévus, et cette solitude bienveillante qu’on ne trouve que dans les grands espaces.
Je reviens un peu différent.
Pas transformé, non — juste rappelé à l’essentiel :
Que l’inconfort révèle la beauté,
Que l’imprévu tisse les plus beaux souvenirs,
Et que parfois, le plus bel endroit n’est pas celui qu’on visait… mais celui où le hasard nous a posé pour la nuit.
La prochaine fois, je ne partirai plus seul.
Mais ça, c’est une autre histoire.
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